Il était une fois une petite fille,

Il était une fois une petite fille, qui ne se demandait pas ce qu’elle deviendrait car elle n’en avait rien à faire. Pourtant elle faisait, et dévidait sa vie sur un vieux rouet.

Petit à petit, en ne lâchant pas le monde de ses yeux verts.

Et petit petit était son monde.

Quoiqu’il prît le large assez facilement et sans crier gare par les champs et les bois, mais il suffisait de bien le tenir en lisière pour qu’il n’échappât pas complètement au regard.

Le monde avait la taille d’une cour d’école, d’une entrée de mairie et d’une rue en pente qui dévalait jusqu’à une fontaine…

Un monde plein de chemins, de sentiers et de bois et de ronces et de lilas aux branches de cerisiers, de masures dérisoires, de barrières qui s’affaissent, de murets où court peut-être encore du lierre, va savoir !

Et va savoir, maintenant qu’il a grandi, pourquoi elle s’est mise à écrire…

POSTURES












Mon doigt ganté de blanc est pointé vers le sol. Il ne désigne rien mais les regards se baissent. Puis se relèvent vers moi qui ne les fixe pas.
Je tiens sur ma colonne aussi blanc que mon doigt. Un enfant passe, me touche, est-ce que j’existe vraiment ? Sur la pointe des pieds, accroupi et offert, mon corps n’a plus de sens que celui qu’ils me donnent.
Mais j’entends et j’écoute et je vois et j’observe. Autant que moi, ils sont des objets de passage. Et je les tiens parfois mieux encore qu’ils me tiennent.
Je suis le sédentaire au milieu des nomades. L’immobile que le temps a recouvert de marbre, mais qui se meut parfois pour poursuivre un sourire, tendre une main lente au passant qui s’arrête et jette une pièce dans mon chapeau, plus bas.
Peut-être que je suis un guetteur ignoré et qu’à l’affût, mes yeux sont ceux d’un prédateur. Mais vautour ambigu, j’ai relâché mes serres, pour me déposer là, comme une proie.
Intermittent d’un monde où j’ai si peu de droits…
Où je vis de silence, interdit de voix.

Je respire tout bas, statufié mais mortel, et quand la crampe vient, je me dresse et m’étire, aspirant par saccades, la bouche ouverte, enfin, comme un trou noir dans mon visage blanc. Un instant mes côtes saillent, je recueille le mistral et j’emprunte son souffle. Alors sans presque bouger, sur mon socle si petit, avec des gestes réglés pour éviter la chute, pliant une jambe et tournant les poignets au bout de mes bras levés, je prends une nouvelle posture. M’ont-ils vu me déployer ainsi ? Ils passent… Et moi, rapace aux ailes rognées, soudain stoppé dans un vol qui me portait vers où ?, je reçois comme des flèches leurs coups d’œil pressés, … est-ce que j’existe vraiment ?

Voilà que tout à coup, j’arrête des regards. On me jauge, on me juge. On me mime en riant, prend des poses, tête contre mes baskets, et faire-valoir servile, je me replie pour tenir dans leur viseur, les cuisses sur mes mollets et les talons levés. Ils paient, je remercie d’un battement de paupière, et la tête inclinée, j’ai tout perdu du ciel. Les pavés, la poussière, leurs pieds, leurs pas, leurs pas dans la poussière soulevée sur les pavés. Fœtus rachitique dans mon corps prosterné, vais-je naître ou mourir ?

Je me redresse alors, discobole improbable, un palet dans chaque main comme deux miroirs éteints, et m’étire à nouveau le cou brisé, à bout. Je ne tiens plus la pose… Je saute sur le sol, et cramponné au socle, le souffle court, je croise, décroise les jambes, fais semblant de marcher.
J’ôte ma perruque et mes gants blancs. Je reprends chair enfin. Mes veines ont gonflé sur mes mains. Si comme eux, je ne paie plus de mine, derrière ma proue, sans qu’ils s’en aperçoivent, je fends toujours leur flux.

Mendiant ? Je fais la manche ? Pas à genoux sur le bitume. Avec un spectacle qui a de la tenue. Qui se prépare à l’encoignure des rues, où je me maquille devant un miroir de poche, le costume de scène déjà endossé. Je suis l’acteur d’une pièce si courte qu’elle n’a ni début ni fin, mais une histoire malgré tout, et même exigeante, puisqu’il leur faut l’inventer.

On me bouscule ? Je gêne ? L’entracte est terminé. Je vais improviser pour la première fois. D’un bond, je sors de mes coulisses et de mes habitudes. La colonne tremble de mon saut, et je vibre de trac. Avec lenteur, je pose mon genou gauche sur le socle, fléchis la jambe droite, me tourne doucement de côté, joins mes mains derrière mon dos. Comme le captif nu du musée d’Arles, je lève enfin le visage vers un vainqueur invisible que je sais sans pitié. Je le défie pourtant. Dans mes vêtements livides, figés, aux plis de pierre, je mène pour eux, qui ne le voient pas, l’ultime combat de l’homme.
Aux confins de la vie, clos dans mon corps, pacifié, unifié, j’existe enfin vraiment.

LSB, 16/8/10