Sigismond était en
autopsie sur le carrelage blanc d’une morgue. Il faisait grise mine et sa
nudité encore intacte incommodait le commissaire qui s’y connaissait pourtant
en corps de toutes sortes. Il y en a certains dont on regrette la vie, a-t-il
dit. Et celui-là en fait partie. On dirait qu’il suffoque à l’idée d’être
disséqué. C’est qu’il a déjà beaucoup suffoqué, a dit le médecin légiste, et il
lui en reste quelque chose. Un effort pour respirer qu’il continue de
tenter ! Et que je tente encore, a pensé Sigismond en son for intérieur.
Je ne suis pas totalement inconscient et je me rends bien compte de la vanité
de mon entreprise, mais il me semble avoir encore quelque chose à dire,
autrement que par l’intermédiaire de mes organes !
Il était en pleine forme, commissaire, le
muscle ferme, le jarret solide, le cœur toujours disposé à battre. Mais le sang
s’est figé, regardez, il ne coule plus dans ses veines ni dans ses artères, ni
sur mon étal. La mort est définitive. Définitive ? Certains décès sont
donc remé-diables ? Avec un peu de bonne volonté, sans doute, a répondu le
médecin. Et j’en ai, a pensé Sigismond, qui a hurlé en silence à la première
entaille du scalpel. Mais si on ne respecte pas l’intégrité de ma personne, il
me sera difficile d’en faire usage. Décidément, a dit le commissaire en
regardant le visage tendu du défunt, il ne lui manque que la parole. Sigismond
a hoqueté. Ah ! Il n’a pas vraiment trépassé, a dit le légiste en relevant
son outil. Je ne peux plus rien pour lui. Mais il va sans doute pouvoir pour
vous !
L’estomac aussi lavé
que le cerveau, Sigismond s’est enfin réveillé du coma artificiel où il avait
été plongé pour éviter, par un mimétisme homéopathique, toute récidive de mort.
Une infirmière vaquait.
— Comment vous
sentez-vous, Monsieur Beauregard ?, a-t-elle demandé en s’approchant de
lui.
— Pâle et défait.
— Votre résurrection a
fait beaucoup de bruit !
— Ma résurrection ?
— D’entre les trépassés,
oui !
— Mon sauvetage in
extremis, vous voulez dire !
— Mais non ! Le
poison vous a traversé de part en part, de la bouche à l’anus, avec tous ses
effets létaux ! Et vous en avez été plus mort que vif !
— Quel poison ?
— Celui que vous avez
gobé sottement et qui vous a tué !
— Je me suis
suicidé ?
— On vous aurait
assassiné !
— Palsambleu !
— Et ventre saint
gris !
— Je ne me souviens de
rien !
— Pas d’amnésie s’il vous
plaît ! C’est éculé comme tout !
— Mais comment… ?…
Non ! Je ne comprends pas !
— La science non plus.
C’est ce qui vous rend bien suspect !
— … ?
L’infirmière a levé un doigt.
— Vouloir échapper à la commune loi… et y réussir ! Vous aurez bien
du mal à vous disculper !
— Mais je suis la
victime !
— Victime, bourreau, tour
à tour nous le sommes, Monsieur Beauregard !
— Sigismond a cherché
dans les souvenirs qui lui restaient de sa vie antérieure.
— Pas moi !
Peut-être, tout au plus, ai-je souhaité la mort de ma femme ? Mais je n’en
suis pas sûr et les preuves me manquent.
— On saura les trouver,
ne vous en faites pas !
— Qu’on trouve plutôt mon
assassin.
— Oh ! Mais il est
déjà sous les verrous ! Un certain Malconfort !
— Mon voisin ? Il a
avoué ?
— Il n’a pas reconnu les
faits, paraît-il, mais simplement que l’innocence est toujours coupable !
C’est dire s’il n’a pas la conscience tranquille !
— C’est juste un mea
culpiste… Pourriez-vous m’aider à me redresser ?
L’infirmière a soulevé
le corps purifié et léger de Sigismond. Un début de tendresse lui est venu.
— Vous ne pesez
rien ! Mais vous êtes joli à croquer.
Elle
a ouvert doucement la bouche et s’est penchée vers lui.