Des creux et
des bosses. Des creux puis des bosses qui virent à la rampe. On appelle ça des
dénivelés. Quantifiables. Exploitables pour la mesure scientifique des
exploits. Pour moi, des suées chaudes et froides, des jambes ankylosées, des
crampes, des palpitations, un nez sur le guidon qui n’inspire plus. Et au loin
le dos de mon mari de plus en plus petit sur l’horizon.
… Quelle que soit
la machine, à col de cygne, le seul facile à franchir, à selle rembourrée pour
simuler le confort, à développement surmultiplié pour ne plus tanguer dans les
côtes.
Alors tant pis !
Remisons le vélo. Crochetons-le dans le garage et laissons-le rouiller, rayon
après rayon.
Et redoublons
de randonnées. À pied. Acclimatons les paysages à notre marche forcée. Ils ne
défileront plus, c’est sûr, de colline en colline, de Sion ou d’ailleurs, en
quelques heures. Ne montreront plus, étalées à coups de pédales, les couleurs
vives de leurs images d’Épinal. Et là où je vaque en vacances, sur fond bleu,
les galets de la Crau ne se mêleront plus aussi vite aux roches blanches des
Alpilles.
Mais
quoi ! Si l’on ne peut plus additionner les plaisirs, en avoir encore un,
et superbe, y a-t-il vraiment à redire…
C’est alors qu’un
jour de grisaille, loin des ciels de l’été, je vois mon sosie, sortie du miroir
d’Alice, grimper, alerte, et en vélo la mâtine, une sacrée bosse lorraine. Prendre
même le temps, en me croisant, de replacer d’une main sereine la mèche rebelle
qui échappe à son casque. Et pédaler sans à-coup, sans rougeur inquiétante, sans
crispation suspecte… Avec cependant, il faut le reconnaître, un léger bruit
d’insecte qui agite ses élytres.
– Pas de bouche bée, me dit mon mari. C’est un VAE.
Curieuse
marque, pensé-je.
À moins que
cette dame ne monte un sigle.
Vadrouille À l’Envie !
Va comme je te pousse ! Avance ! Et file !,
Valeureuse Amazone Émérite,
Sans Vasouiller, sans Ahaner, sans t’Effondrer !
(éplorée !)
– Un VAE !
Un Vélo à Assistance Électrique !
Ah !
L’engin n’est pas factice, ni magique, malgré le coup de pouce et de pousse de
la fée électricité !
– Où peut-on se le procurer ?, demandé-je,
plus alléchée ma foi que le renard par le fromage odorant du corbeau. Chez son
marchand de cycles habituel ?
– Sans doute !
J’y cours, j’y
vole pour me venger enfin je l’espère, de tous mes déboires vélocipédiques.
Là, on me Vante les Avantages Évidents du produit !
– Un essai, madame ?
Pourquoi
pas !
D’abord
maîtriser la machine. Je fais manège dans un parking. Puis tenter l’aventure,
par petits monts et grands vaux, sur un parcours bien conçu pour juger du vélo.
Oh ! Oh ! J’atteins, Vaillante,
À corps perdu, Énergique, plus de 15 kilomètres dans les bosses et tout ce que je
veux dans les creux !
Coup de
foudre ! J’achète.
Et depuis, satisfaite
de mon emplette, je dénivelle à tour de roues…
Des hauts de
Nancy aux bas des Vosges, des bas de Camargue aux hauts des Baux !
Et mes
distances parcourues battent sans mal tous mes records…