Il était une fois une petite fille,

Il était une fois une petite fille, qui ne se demandait pas ce qu’elle deviendrait car elle n’en avait rien à faire. Pourtant elle faisait, et dévidait sa vie sur un vieux rouet.

Petit à petit, en ne lâchant pas le monde de ses yeux verts.

Et petit petit était son monde.

Quoiqu’il prît le large assez facilement et sans crier gare par les champs et les bois, mais il suffisait de bien le tenir en lisière pour qu’il n’échappât pas complètement au regard.

Le monde avait la taille d’une cour d’école, d’une entrée de mairie et d’une rue en pente qui dévalait jusqu’à une fontaine…

Un monde plein de chemins, de sentiers et de bois et de ronces et de lilas aux branches de cerisiers, de masures dérisoires, de barrières qui s’affaissent, de murets où court peut-être encore du lierre, va savoir !

Et va savoir, maintenant qu’il a grandi, pourquoi elle s’est mise à écrire…

Conseil de classe



G. écrit à son tour, pourquoi pas ? Il a encore un peu de temps avant de partir pour le conseil de classe. Et puisqu’il est Guignol…

Guignol se prépare pour le spectacle de ce soir. Il a mis sa redingote marron, fait briller ses boutons dorés, disposé avec attention son nœud rouge et placé sur sa tête son chapeau de cuir noir auquel il a cousu une longue natte de cheveux bruns.
Dans sa serviette, il a rangé son carnet de notes, et quelques documents de l’ONISEP, afin de ne pas être pris de court. Il a aussi le dernier texte de Snorgle, qu’il a déjà recopié et placé dans ses archives.
« Madon était bon enfant, mais il n’aimait pas qu’on disposât de lui sans son accord, ni qu’on lui imposât quoi que ce fût. La liberté pouvait lui déplaire si on la lui offrait. Il la jetait alors aux orties et s’en souciait comme d’une guigne, pourtant cerise rouge et sucrée, d’habitude à son gré. C’est pourquoi, quand la parole lui a été donnée, il l’a rendue sans un mot. »
Guignol tourne sur lui-même et regarde son reflet dans la glace, prêt même à en découdre avec lui. Si la parole lui est donnée, il en usera volontiers.

Salle du conseil.
—   Quelle tenue ! Vous êtes fou ?!
—   N’est-ce pas ? Bien entendu, Monsieur le Principal !
—   Allez-vous changer !
—   Guignol je suis ! Guignol je reste !
—   Retirez au moins cette tresse ridicule !
Guignol obtempère.
Le principal fait entrer les délégués des parents et des élèves.
Guignol leur sourit, et bat des mains.
Il écoute le lent défilé des noms, les remarques acides acerbes louangeuses contradictoires sans fondement réfléchies éclairées inutiles, les échanges courtois discourtois haineux cruels et perfides. Il regarde, la tête penchée de compassion, s’effondrer les blessés, rougir les vexés, tomber les dignités.
—   Nous voulons aussi évoquer les plaintes que nous avons reçues concernant Guignol, dont les cours ne respectent pas les Instructions Officielles, et…
—   J’en fais fi, il est vrai, dit Guignol. Je préfère suivre mes pédagogiques impulsions.
—   Il est invraisemblable !, inadmissible !, qu’un professeur fasse ainsi le guignol, même si c’est son nom !, dit la mère patentée de l’élève Adrien.
—   T’es mal barré, mon pauvre, glisse Fred à Guignol.
Qui déclare :
—   Je cesserai de faire le gugusse quand on cessera de me prendre pour tel, Madame. Sur ce, je vous tire mon chapeau de canut, et je vous place sur la longue liste de mes suspects.

G. déchausse ses lunettes et les range dans leur étui. Il donne à manger au chat et prend ses clés.


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