Il était une fois une petite fille,

Il était une fois une petite fille, qui ne se demandait pas ce qu’elle deviendrait car elle n’en avait rien à faire. Pourtant elle faisait, et dévidait sa vie sur un vieux rouet.

Petit à petit, en ne lâchant pas le monde de ses yeux verts.

Et petit petit était son monde.

Quoiqu’il prît le large assez facilement et sans crier gare par les champs et les bois, mais il suffisait de bien le tenir en lisière pour qu’il n’échappât pas complètement au regard.

Le monde avait la taille d’une cour d’école, d’une entrée de mairie et d’une rue en pente qui dévalait jusqu’à une fontaine…

Un monde plein de chemins, de sentiers et de bois et de ronces et de lilas aux branches de cerisiers, de masures dérisoires, de barrières qui s’affaissent, de murets où court peut-être encore du lierre, va savoir !

Et va savoir, maintenant qu’il a grandi, pourquoi elle s’est mise à écrire…

Premiers chapitres de Bois Défendu et Chêne d’Argent


1.

Bois Défendu et Chêne d’Argent attendent.
Ils se sont assis sur un tronc d’arbre, dans une clairière, fatigués. Ils attendent depuis si longtemps… Qui ?
Le Visiteur.
Ils ne savent rien de lui, mais ils savent que sans lui, ils ne sont rien.
Ils ont interrompu leur bavardage.
C’est le temps de l’ennui et de l’angoisse.
L’un pousse une brindille du pied, l’autre creuse d’un doigt l’écorce du tronc sur lequel ils sont assis.
Ils se fanent, se rouillent, se tassent.
Ils sont près de l’anéantissement…
Vite vous les présenter avant qu’ils ne disparaissent !…

BOIS DÉFENDUNous présenter ? Vous ? Certainement pas ! Si quelqu’un doit parler de nous, ici, c’est nous ! Nous n’avons aucune confiance en vous.

LE NARRATEURMais messieurs…

BOIS DÉFENDUPas de mais, regardez déjà votre incipit ! Pas très encourageant ! Vous profitez d’un moment de relâchement bien compréhensible, pour nous menacer d’effacement ! Mais nous sommes bien vivants, et nous avons l’intention de le rester !

CHÊNE D’ARGENTOui, alors poussez-vous un peu et laissez-nous faire.

LE NARRATEURVous allez être ridicules ! Seul un homme du métier…

BOIS DÉFENDU et CHÊNE D’ARGENTPoussez-vous, on vous dit.

BOIS DÉFENDUOuf, il s’est assis un peu plus loin. Quel raseur prétentieux ! Le temps que nous frottions un peu nos habits, et que nous nous tournions vers vous, chers lecteurs, et les présentations pourront être faites.
Voilà. Je commence. Je m’appelle Bois Défendu. C’est un nom qui peut paraître ridicule, mais qui me résume parfaitement, puisque, premièrement, je suis un bois, et que, deuxièmement, je suis défendu. Un bois, ou plutôt l’allégorie d’un bois. Car, remarquez-le, mes bras ne sont pas des branches et mes jambes ne s’enfoncent pas dans la terre. La sève ne coule pas dans mes veines, non plus. J’ai l’air,  comme vous, fait de chair et d’os.
Ceci dit, je suis tout de même un bois… Et comme je suis défendu, ou plutôt interdit, personne ne pénètre dans l’épaisseur de mes fourrés, personne ne contemple mes frondaisons, personne ne parcourt mes chemins. Je n’ai qu’une seule compagnie, celle de mon cher Chêne d’argent, à qui je passe la parole, si vous le permettez, pour qu’il se présente, lui aussi.

CHÊNE D’ARGENTNon pas comme un mirage,  mais comme le miracle de ce bois ! Chêne à feuillage persistant, espèce rare s’il en est, qui cliquète au soleil, et jette en toute saison ses feux dans les buissons. Peu attaché à mes racines, je me meus comme chacun d’entre vous, et je peux, vous l’avez constaté, m’asseoir sur le tronc d’un autre arbre, si j’en ai envie.
Mais nous avons un problème…

BOIS DÉFENDUUn sérieux problème, même. Comme je vous l’ai dit, nous n’avons jamais de visite... Et personne ne sait que nous existons, à part vous, chers lecteurs, à part vous, bien entendu. Et depuis peu. Mais sans vouloir vous vexer, ce n’est pas suffisant. Et l’autre énergumène que nous avons chassé, ne le répétez pas, il serait trop content, n’a pas tout à fait tort. Nous pourrions bien disparaître. Il faut absolument que quelqu’un nous voie pour nous donner vie.
Nous avons besoin d’un visiteur. D’un Visiteur !
Et nous ne savons pas comment le trouver ! Je suis un bois défendu, il ne peut pas entrer ! Et nous, nous ne pouvons pas sortir !
Vous avez bien compris le problème, maintenant, j’en suis sûr !

CHÊNE D’ARGENTC’est ce qui s’appelle un problème épineux, surtout dans un bois rempli de ronces parce que personne ne le débroussaille !
Si vous voyez une solution…


2.

Basile aurait bien aimé être policier. Mais il n’était que grammairien. Il traquait les faits de langue, et pas les criminels. Il le regrettait.
Cependant, et il n’en revenait pas, on était hier venu le trouver pour lui demander de mener une enquête !
Une enquête !
Dans son village un peu perdu où bien évidemment, il ne se passait jamais rien !
Et une enquête sur quoi ? Un vol de fourrage, un braquage du bureau de poste, un incendie de grange ? Mais non, et il le donnait en mille à qui en voudrait plus que des cents, simplement sur un individu un peu louche qui venait d’arriver à l’auberge du village.
Il s’était étonné. Pourquoi lui, qui n’était pas policier, mais grammairien ?
Justement, lui avait-on dit, il fallait que ça n’ait pas l’air d’une enquête officielle. L’inconnu n’avait rien fait de répréhensible, on n’avait rien à lui reprocher. Hormis le fait déjà douteux qu’on ne le connaissait pas. Et qu’il se promenait toujours avec une valise qu’il ne quittait jamais (évidemment !), et dont on n’aurait pas su dire si elle était la même ou une autre.
Pourquoi lui tout de même, il ne voyait pas ! D’autres auraient sûrement mieux fait l’affaire !
Mais non, lui avait-on répondu. Un grammairien est quelqu’un d’anodin, qui se faufile entre les gens comme entre les mots, avec discrétion, mais qui repère la moindre faute, le moindre écart. Son esprit est toujours en alerte. Il ne laisse échapper aucune erreur. Si l’inconnu se conjugue mal, euh se comporte mal, si sa syntaxe ou plutôt si sa conduite est incorrecte, il le verra tout de suite.
Il n’en n’avait pas été persuadé, mais il avait accepté quand il avait compris qu’on ne lui demandait que de bien observer et de rapporter ce qu’il avait observé.
Et puis, un vieux rêve s’accomplissait. Il devenait en quelque sorte, l’inspecteur Basile.
Le on qui lui avait confié cette mission inespérée était, certes, un pronom indéfini,  mais  il contenait des personnes bien définies et bien connues de lui. Un conseiller municipal dont il corrigeait les articles à paraître dans le bulletin mensuel, ses voisins, de droite et de gauche, aux enfants desquels il donnait quelques cours particuliers gratuits, et puis des gens avec qui il n’avait fait qu’échanger des propos insignifiants, mais ce depuis des années. Ils s’étaient présentés comme les délégués d’un groupe plus important dont ils n’avaient pas défini les contours. D’où le on inéluctable en pareille occasion.
Et maintenant, il fallait agir.
Comment ?
Comment se mène une enquête ?
Bien qu’il eût lu beaucoup de romans policiers, bien qu’il se fût souvent imaginé inspecteur, Basile n’en savait rien, en vérité.
Il sortit quelques feuilles de papier et décida de résumer la situation sur l’une d’entre elles.
Il ne fit d’abord que mordiller son crayon.


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