Il était une fois une petite fille,

Il était une fois une petite fille, qui ne se demandait pas ce qu’elle deviendrait car elle n’en avait rien à faire. Pourtant elle faisait, et dévidait sa vie sur un vieux rouet.

Petit à petit, en ne lâchant pas le monde de ses yeux verts.

Et petit petit était son monde.

Quoiqu’il prît le large assez facilement et sans crier gare par les champs et les bois, mais il suffisait de bien le tenir en lisière pour qu’il n’échappât pas complètement au regard.

Le monde avait la taille d’une cour d’école, d’une entrée de mairie et d’une rue en pente qui dévalait jusqu’à une fontaine…

Un monde plein de chemins, de sentiers et de bois et de ronces et de lilas aux branches de cerisiers, de masures dérisoires, de barrières qui s’affaissent, de murets où court peut-être encore du lierre, va savoir !

Et va savoir, maintenant qu’il a grandi, pourquoi elle s’est mise à écrire…

Premiers chapitres du Grand Repenti


1.

Sur une autoroute !

Un matin de juillet, la voiture filait vers le sud. Il s’était levé très tôt et il était sur le point de s’endormir, affalé sur la banquette arrière, quand il sursauta. Il venait de lire sur un panneau - encore un - : Dans 1000m, Aire du Grand Repenti. Il n’hésita pas ! Il hurla qu’il fallait s’arrêter, qu’il ne tiendrait pas une minute de plus. Aussitôt, et brutalement, la voiture emprunta la bretelle d’accès pour se garer près des toilettes. Il se précipita, et dès qu’il fut caché par un mur du bâtiment, il courut vers le sous-bois tout près, prêt à tenter l’Aventure. Il ne pensa pas un seul instant à ses parents… Il était sûr d’être sur le Bon Chemin.
Qui devint vite boueux, d’ailleurs, comme ses chaussures. Mais quelle importance ! Il avait d’autres chats à fouetter ! Un Grand Repenti disait le panneau ! Il n’avait pas de dictionnaire, mais il lui semblait bien, qu’avec un peu de chance, et si ce panneau disait vrai, il allait à la rencontre d’une sorte de Barbe Bleue plein de remords.
Plus il avançait, plus le chemin rétrécissait. Comme il le fallait, les arbres grandissaient, la lumière du jour faiblissait et il s’attendait à voir surgir d’un instant à l’autre un être immense, un géant même, plié sous le poids de ses fautes. Cette fois, il n’était pas loin du miracle. Le pays des contes était proche !
—   Psitt !
Il se retourna, effrayé et ravi. Mais il ne vit rien. Les branches des arbres tremblaient à peine. Il reprit sa marche.
—   Psitt.
L’appel lui sembla venir de tout près. Il s’arrêta à nouveau, et aperçut sur sa droite un personnage minuscule qui lui faisait signe. Il s’agenouilla pour mieux le voir. C’était un homme à coup sûr, mais si petit que… c’en était une merveille (cette expression lui avait valu un T.B. dans la marge de sa dernière rédaction…). La créature – comment l’appeler autrement ? – était vêtue de noir et portait un chapeau très pointu (turlututu !) ainsi que des lunettes sur un bout de nez ridicule.
—   Psitt ! Approche encore, petit.
Il faillit éclater de rire. Lui, petit, alors que dire de…
—   Je sais, je ne suis pas plus haut qu’un pouce, mais j’en vaux bien d’autres qui sont plus grands que moi !
Décidément, ce lutin était à mourir de…
—   Pas plus lutin que toi ! Regarde, là, sur ma poitrine.
Sur le pourpoint noir, deux lettres étaient écrites, couleur de feu : G.R.
—   Grand Repenti ! Eh oui ! C’est moi ! Et toi, quel est ton nom ?
—   Simon.
—   Eh bien, Simon. Nous sommes presque arrivés.
Et le Grand Repenti, d’un bond, se percha sur les épaules de Simon. C’était décidément trop beau !
—   Tout droit ! dit-il.


2.

Simon avança. Le chemin était rectiligne : on aurait dit un trait tiré à la règle. Il paraissait ainsi plus effrayant que s’il avait été sinueux, tortueux et…
—   Pas d’énumération, Simon. Le temps presse. Va au plus court !
Pour aller au plus court, il n’était pas possible de faire mieux que le chemin, et Simon continua à le suivre. Le silence lui pesait et il tenta d’engager la conversation.
—   C’est encore loin ?
Le Grand Repenti jugea que la question ne méritait pas de réponse. Il est vrai qu’elle était d’autant moins utile qu’ils arrivaient devant une cabane où battait au vent une enseigne lumineuse : G.R.
Le Grand Repenti sauta lestement des épaules de Simon, et s’engagea dans une chatière après avoir crié trois fois, en se frappant la poitrine : « Je me repens ».
Simon se retrouva seul devant la porte, et un instant, il crut voir s’effacer la construction de bois, planche par planche. Mais la porte s’ouvrit et le Grand Repenti le regarda à hauteur de visage : il avait, semble-t-il cette fois, la taille d’un adulte. Simon, à peine surpris, fit un pas pour entrer, mais d’une main, le Grand Repenti l’arrêta.
—   Voyons Simon ! Ici, c’est la maison de la Grande Repentance ! Tu ne peux y pénétrer que si tu regrettes tes fautes…
—   Mais je les regrette, dit Simon qui pour la première fois pensa à l’attente de ses parents devant les toilettes…
—   Alors, dis trois fois « Je me repens ». Et tu rentreras.
La formule magique ! Génial !
Et solennellement, Simon déclama : « Je me repens. Je me repens. Je me repens. ».
Il fut aussitôt aspiré à l’intérieur de la cabane. Il y faisait bon, tout aussi bon que dans la voiture tout à l’heure, et une subite envie de dormir le prit. Le ronflement du poêle n’était pas sans rappeler celui du moteur et Simon dut faire un gros effort pour ne pas se croire à nouveau sur l’autoroute. Et s’il y était ! S’il était en train de rêver, tout simplement ! D’ailleurs, ses yeux le brûlaient. Il poussa un cri.
—   Pas de panique, Simon. Tu ne risques rien ! Un Grand Repenti ne peut plus se permettre de mauvaises actions. Je t’ai juste jeté un peu de poudre aux yeux ! Ça pique sur le moment, c’est vrai, mais ça ne dure pas. Là, tu vois, tu te sens déjà mieux. !
Et vraiment Simon sortait de sa torpeur. Il regarda autour de lui : il n’était pas assis sur un siège de voiture mais sur un tabouret inconfortable, et ses coudes reposaient sur une grosse table de bois mal équarri.
—   Pourquoi de la poudre aux yeux ? demanda-t-il.
Le Grand Repenti, qui semblait vouloir faire chauffer quelque chose sur le poêle, continua de lui tourner le dos.
—   C’est une habitude que j’ai. Je souhaite toujours qu’on se fasse une bonne opinion de moi. Tu comprendras bien que je n’ai pas toujours eu une excellente réputation.
Simon hocha la tête. Oui, oui, il comprenait, mais ce qu’il attendait avant tout c’était le début, le vrai début, Il était une fois, enfin !
—   C’est donc ça que tu es venu chercher ? Mon histoire ?
—   Je ne veux pas être indiscret… dit Simon.
—   Bien entendu ! Bien entendu ! Simplement, tu te dis, un grand repenti, il doit en avoir des choses à raconter !
Simon rougit, mais il était très satisfait. Il était perdu dans la forêt, en compagnie d’un personnage extraordinaire, qui passait d’une taille à l’autre sans problème et qui allait l’entraîner dans un jadis ou naguère surprenant.
—   Ne te monte pas trop la tête, tu sais.
Simon sentit son cou se rétrécir subitement.
—   Les histoires tiennent parfois en quelques lignes. D’après les plus grands spécialistes du conte, un simple schéma peut les résumer ! Il était une fois… Un jour… Puis… Alors… Enfin… Et la boucle est bouclée !
Simon ne parut pas déçu et remercia le Grand Repenti sans arrière-pensée, quand celui-ci lui tendit une tasse de chocolat bien chaud. Il était sûr qu’il n’était pas venu pour rien.
Le Grand Repenti tira vers la table un tabouret et s’assit. Il croisa les jambes et murmura :
—   Mais toi, tu en veux plus ! Tu es un gourmand, un contovore, j’en suis sûr. Ce n’est pas toi qui te contenterais d’un pauvre squelette d’histoire, comme celui-ci par exemple! :
Autrefois naquit un enfant plutôt bon. Un jour, il devint méchant. Alors il commit moult vilenies. Mais il en eut des remords, répara ses fautes et devint un Grand Repenti.
Simon fit non de la tête, en souriant.
—   D’accord, d’accord. Je vais tenter de m’appliquer.
Le Grand Repenti se racla la gorge :


3.

Il était une fois, dans un jadis naguère que nous ne préciserons pas, un royaume béni, dont tous les habitants étaient bons. Ils marchaient le sourire aux lèvres, ramassaient les oiseaux tombés du nid, relevaient les personnes qui avaient chu, aidaient les vieilles dames à faire leurs courses et à traverser la rue, caressaient la tête des enfants qui avaient eu de mauvaises notes à l’école, en leur disant : « Tu feras mieux la prochaine fois. », etc, etc…
Quant au roi, c’était une crème d’homme qui ne pensait qu’à faire le bonheur de ses sujets. Il distribuait quotidiennement ses richesses, ne gardait jamais un sou pour lui, si bien que, lorsque ses coffres étaient vides, il était obligé d’aller mendier dans les rues. Évidemment, il retrouvait très vite ses richesses - la charité de ses sujets était sans égale - ! Évidemment aussi, il s’empressait à nouveau de les distribuer…
Un jour, un enfant lui naquit. Il y eut des fêtes somptueuses, et toutes les fées (on n’en oublia aucune) comblèrent de dons le nouveau-né.
—   C’était vous ?, dit Simon.
—   Mais non ! C’était une fille ! Et d’ailleurs, moi, j’étais déjà né. Dans un coin obscur du royaume. Là où les lumières de la bonté n’avaient pas complètement étendu leurs rayons. À cet endroit, il arrivait qu’un pied sans pitié écrasât une mouche, qu’une main anonyme dérobât l’obole déposée dans l’escarcelle d’un mendiant, qu’une gifle claquât sur la joue d’un enfant désobéissant.
Je vivais dans la ferme du père Igo. J’étais là, sans raison, sans père ni mère connus. Je vaquais à toutes les tâches qu’on voulait bien me confier… Tu veux savoir lesquelles ? Viens !
Simon n’eut pas le temps de répondre. Le Grand Repenti, qui n’avait plus que la taille d’un enfant de six ans, l’entraînait déjà dans son passé.
—   Allez, vite, porte ce seau jusqu’aux écuries pendant que je vais m’occuper du foin. Ensuite, nous irons rentrer les vaches.
Le seau était lourd. Simon, abasourdi, peinait et s’arrêtait souvent.
—   Alors, galopin !, hurla une voix terrible. Je vais t’apprendre à flâner !
Et il reçut une forte tape sur le dos qui le fit chanceler. Simon se retourna et vit un homme si gros qu’il en resta ébahi.
—   Et quoi tu n’as jamais vu le père Igo ? File ! Et que je ne te reprenne plus à traîner !
Simon prit le seau à deux mains, et avança en titubant, mais le plus vite qu’il pouvait. Il chercha des yeux le Grand Repenti.
—   Je suis là, Simon ! Je m’appelle Petit Tom. Je ne suis encore ni repenti, ni grand. Passe-moi le seau, je vais le vider dans l’abreuvoir. Voilà. Maintenant, nous allons…
Simon poussa un soupir.
—   Déjà fatigué ? Alors si tu as compris à quelles occupations je vaquais, retournons boire notre chocolat chaud !
Et ils s’attablèrent à nouveau, et avec satisfaction, à la table de bois mal équarri.


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